A para�tre bient�t dans le journal L'Etincelle, sept.1996, le
journal du Mouvement pour le droit � l'�ducation (MDE).
Chiapas, Mexique. Premi�re rencontre intercontinentale contre le
n�olib�ralisme et pour l�humanit�. Les Zapatistes
invitent � la mondialisation des r�sistances.
par Louise Boivin
Difficile de d�crire ces cinq villages symboliquement nomm�s
Aguascalientes qui ont accueilli 3000 d�l�gu�s internationaux
pendant la Premi�re rencontre intercontinentale contre le
n�olib�ralisme et pour l�humanit�, du 27 juillet au 3
ao�t dernier. Centres de r�sistance autochtone, ils ont
�t� construits au coeur des montagnes ou de la jungle du
Chiapas, dans le sud-est mexicain, par les membres de l�Arm�e
zapatiste de lib�ration nationale (EZLN), qui a exprim� le 1er
janvier 1994 son Ya Basta! - C�est assez! - par un soul�vement
arm�.
Les aguascalientes ("Eaux chaudes" en fran�ais), nomm�s ainsi en
souvenir du premier aguascalientes - centre zapatiste d�truit pas
l�arm�e f�d�rale lors de l�offensive de f�vrier 1995
- sont comme des amphith��tres en pleine nature. Une grande
sc�ne garnie de banni�res politiques color�es est entour�e
d�estrades et d�un parterre de chaises de bois. Derri�re, on
trouve des posadas - to�ts sous lesquels s�abritent hamacs et
sacs de couchage - en plus des douches, toilettes et des cuisines
o� les femmes travaillent presque toute la nuit pour pr�parer
les repas (plus de 8000 tortillas �taient servies quotidiennement).
Convoqu�e par le c�l�bre sous-commandant zapatiste Marcos en janvier 1996,
la Premi�re rencontre intercontinentale contre le n�olib�ralisme appelait �
la construction d�une nouvelle internationale de l�espoir par-del� les
fronti�res, les langues, les cultures, les sexes, les strat�gies de lutte et
les visions. L�ennemi commun identifi� est le n�olib�ralisme, nouveau visage
du capitalisme et du pouvoir. Le n�olib�ralisme en question afflige la
plan�te enti�re et impr�gne les politiques de nos gouvernements qui
pr�vil�gient les march�s boursiers au d�triment des droits sociaux, qui
privatisent les biens publics, qui laissent les transnationales s�emparer
des ressources naturelles, qui �liminent les programmes sociaux et l�acc�s
des populations � la sant� et � l��ducation, qui r�priment toujours plus
avec leurs polices et soldats.
Les Zapatistes ont d�ailleurs choisi de sortir de la clandestinit� le jour
de l�entr�e en vigueur du trait� de libre-�change nord-am�ricain
(Canada-Etats-Unis-Mexique), "orgasme du n�olib�ralisme" comme dit Marcos et
"sentence de mort" pour les autochtones du Chiapas dont l�esp�rance de vie,
dans le Chiapas, est d�environ 45 ans.
Des passes-montagnes pour �tre vus
L�arriv�e des d�l�gations dans le premier aguascalientes, � Oventic, fut
salu�e par des milliers d�autochtones descendus des montagnes - les femmes,
hommes et enfants qui constituent les bases d�appui de l�EZLN, prennent les
d�cisions collectivement, nourrisent la gu�rilla et s�int�grent dans les
milices quand la situation l�exige. Des participants de tous genres
(militants de gauche, des droits humains, syndicalistes, f�ministes,
autochtones, intellectuels, etc) provenant de 43 pays, d�aussi loin que
l�Australie, le Japon et les Philippines, ont r�pondu � l�appel relay� par
des centaines de comit�s de solidarit� avec le zapatisme.
Foulard blanc sur la t�te, les M�res de la Place de mai arrivent en
soulevant l��motion - elles ont constamment et courageusement d�nonc� la
dictature argentine pour la disparition de leurs maris et fils.
"R�sistance!" crient-elles, accueillies par des applaudissements. Durant les
discussions des jours suivants, elles proposeront "d��tudier la richesse
parce qu�on �tudie la pauvret� depuis d�j� 504 ans" (depuis la conqu�te des
Am�riques par les Espagnols).
Tout aurait pu emp�cher la tenue de cet �v�nement politique que plusieurs
participants ont qualifi� du plus important de leur vie: la pr�sence de 60
000 soldats f�d�raux dans le Chiapas, les contr�les douaniers, le court laps
de temps pour s�organiser, les frais �lev�s de voyage et la situation de
mis�re des communaut�s autochtones qui ont accueilli les participants.
Durant la c�r�monie d�innauguration, la Major zapatiste Ana Maria raconte:
"Avant le soulevement arm� de l�EZLN, nos vies valaient moins que les
machines, que les roches, que les plantes". L�indienne v�tue des habits
traditionnels tiss�s et du passe-montagne qu�arborent les Zapatistes
poursuit: "Nous avons cach� nos visages pour �tre vus et entendus, nous
avons oubli� notre nom pour �tre �cout�s. Derri�re nos passe-montagnes se
retrouvent toutes les femmes, tous hommes et enfants oubli�s, tous les
homosexuels pers�cut�s, tous ceux qui ne comptent pas, qui ne sont pas
nomm�s, qui n�ont pas de devenir".
A plusieurs reprises durant la Rencontre, diff�rents porte-paroles
zapatistes citeront les gais et lesbiennes, ainsi que les jeunes, les femmes
et les autochtones, comme les secteurs subissant particuli�rement le
n�olib�ralisme et la discrimination - position que les mouvements
r�volutionaires n�ont jamais affich�e dans le pass�.
L�ogre du pouvoir
A la table politique, des militants de groupes politiques de gauche
traditionnels ont vite saisi le micro pour promouvoir la prise du pouvoir
afin de changer la soci�t�, vieille recette appliqu�e dans les pays
socialistes de l�ancien bloc de l�Est qui s�est av�r�e tout aussi nocive que
le capitalisme.
Puis, surprise, le c�l�bre sous-commandant zapatiste Marcos fait tour des
ateliers et prend bri�vement la parole. Le guerillero, qu�on dit aussi �tre
docteur en philosophie, parle de la transformation politique profonde de
laquelle est n� l�actuel zapatisme: "Quand nous sommes venus cr�er l�EZLN
dans le Chiapas il y a 13 ans,nous nous prenions pour l�avant-garde
marxiste-l�niniste et nous �tions en faveur de la dictature du prol�tariat.
Les communaut�s autochtones nous ont oblig� � comprendre leur propres
valeurs et leur fa�on de s�organiser. Le pouvoir doit �tre collectif et
communautaire. C�est l�unique fa�on de r�sister".
Dans les cinq villages, toutes les tables de discussions ont abord� la
question de la concentration du pouvoir en plus de la concentration des
richesses et sont parvenus � des conclusions similaires. L�aspect
innovateur de la Rencontre n��tait pas de proposer un projet de soci�t�
unique et uniforme; chaque pays et chaque secteur opprim� exprime une vision
particuli�re. Il s�agissait plut�t de trouver une nouvelle fa�on de faire de
la politique, non pas en luttant pour l�obtention du pouvoir mais plut�t en
cr�ant des espaces dans la soci�t� civile (en dehors de l�Etat et de
l�entreprise priv�e) pour que les gens s�approprient des luttes qui les
concernent et en d�terminent les orientations.
Le zapatisme nous rappelle que pour r�sister, depuis la conqu�te espagnole,
il y a 504 ans, les communaut�s Mayas ont eu besoin du mandar obeciendo -
commander en ob�issant - qui implique que les repr�sentants re�oivent des
mandats de leur base et sont r�vocables en tout temps s�ils ne les
respectent pas.
R�seaux de r�sistance
Malgr� les vols des avions d�intervention rapide de l�arm�e mexicaine pour
intimider les d�l�gu�s internationaux, l�enthousiasme augmentait au fil des
jours. M�me la boue qui enveloppait le village de La Realidad n�affectait
pas l�humeur; il y en avait partout, jusqu�aux chevilles, sur les v�tements
et sous les hamacs. La pluie r�guli�re imposait le port de l�imperm�able et
des bottes de caoutchouc pour les danseurs que chaque nuit animait. Les
enfants du village, eux, dansaient nus pied.
Avec la Premi�re rencontre intercontinentale contre le
n�olib�ralisme, le zapatisme prend une certaine expansion
internationale. C��tait n�cessaire pour que la lutte
r�volutionnaire du Chiapas ne soit pas �touff�e par le carcan
militaire. C�est aussi essentiel pour traquer le monstre
n�olib�ral qui ne se nourrit pas que de pauvret� et de
r�pression au Mexique.
Une des seules contreverses qui a assombri la Rencontre
intercontinentale fut la pr�sence du sociologue fran�ais Alain
Touraine parmi les invit�s sp�ciaux des Zapatistes, aux
c�t�s de Danielle Mitterand, veuve de l�ancien pr�sident.
Des membres de la d�l�gation fran�aise - form�e de plus de
300 personnes - ont envoy� une lettre � l�EZLN pour
questionner la pr�sence d�Alain Touraine dans une rencontre
contre le n�olib�ralisme alors qu�il avait appuy�, en
France, le plan Jupp� de r�duction de la s�curite sociale qui
a provoqu� les greves massives de d�cembre 1995.
Marcos a aussit�t convoqu� les d�l�gu�s europ�ens
pour leur dire qu�il ne savait pas que Touraine avait pris cette
position. Il leur a aussi admis que malheureusement la pr�sence de
personnalit�s internationales constituait une pression plus forte
que celle de 10 000 mexicains pour �viter que l�arm�e
mexicaine n�intervienne � nouveau dans les communaut�s
autochtones. Finalement,Touraine a pu faire son discours et redorer
son blason, sur la grande sc�ne aux c�t�s de l�EZLN, sans
�tre hu� par les Fran�ais.
Lors de la session de fermeture de la rencontre intercontinentale, les
Zapatistes ont appel� � la cr�ation d�un R�seau
international de r�sistance au n�olib�ralisme; un r�seau
horizontal sans direction centrale, mais efficace gr�ce � un
autre r�seau, celui-l� de communication alternative utilisant
entre autres Internet. Apr�s une consultation internationale que
l�EZLN invite � organiser autour de la d�claration politique
en d�cembre 1996, une autre rencontre intercontinentale devrait
�tre organis�e en Europe, en 1997.
La d�l�gation canadienne qui a particip� � la Rencontre
intercontinentale �tait form�e d�une trentaine de personnes
provenant surtout de comit�s de solidarit� avec l�Am�rique
latine et d�organismes de d�fense des droits sociaux.
Pour Antonio de Jesus, un des montr�alais membre de la
d�l�gation, qui repr�sentait le Centre d�appui aux
Philippines: "Cette Rencontre intercontinentale a demontr� que de
plus en plus de gens ouvrent leurs yeux sur le n�olib�ralisme et
ses effets. Ils en ont assez de ces politiques qui ne
b�n�ficient qu�� une minorit� de riches".